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Il y a toute une vie souterraine de la littérature, des camaraderies enfouies, des affinités insoupçonnées qui engagent les jaillissements à venir. L’hiver dernier, alors que nous rencontrions le jeune et fougueux poète Victor Malzac (« Le Monde des livres » du 2 février), cet enfant de l’Occitanie confiait la déception qui avait été la sienne quand, débarquant à Paris et à Normale Sup, il avait constaté que la plupart de ses condisciples lisaient peu d’auteurs contemporains : « Beaucoup considèrent sérieusement que la littérature est morte après la seconde guerre mondiale, souvent ils n’ont même pas lu Maylis de Kerangal ou Shane Haddad ! », s’offusquait-il. Ces paroles nous avaient frappés. Ne mettaient-elles pas sur le même plan une écrivaine confirmée, maintes fois célébrée, et la jeune autrice d’un unique roman ?
Juste avant de rencontrer Shane Haddad pour parler de son deuxième livre, Aimez Gil, nous avons donc passé un coup de fil à son fan Malzac. La connaissez-vous ? Votre éloge relevait-il d’un enthousiasme authentique ou d’une simple solidarité générationnelle ? « Je n’ai jamais eu le moindre contact avec elle, a-t-il précisé. Simplement, on a le même âge, 27 ans, et j’ai aimé son premier roman, Toni tout court [P.O.L, 2021], vachement rythmé, complètement bizarre. Haddad, c’est une sorte de Beckett qui arrive un peu tard. Mais avec Beckett, on ne sait pas où on est, alors que chez elle il y a un décor, des parkings, la fac, les cheveux. »
De fait, la chevelure était un motif obsédant de ce premier et ardent roman, qui racontait une journée dans la vie d’une jeune supportrice de foot. Aimez Gil, où l’on suit cette fois un trio amoureux (deux garçons et une fille, Mathieu, Mathias et Gil), prolonge cet élan, on y retrouve une même hâte. Toutefois, on sent bien qu’entre ces deux textes quelque chose a mûri. 24 ans, 27 ans ce n’est pas la même histoire, au cœur de l’emballement pointe déjà une retenue mélancolique, celle qu’on repère chez beaucoup de jeunes aujourd’hui. Shane Haddad, qui s’est occupée des relations avec le public pour le théâtre de la Bastille, à Paris, et qui a animé des ateliers d’écriture dans des lycées ou parmi les footballeurs du Red Star, sait de quoi elle parle : « Le fait d’être toujours connectés aux réseaux sociaux, d’avoir accès à des images violentes, à ce qui se passe dans le monde, ça laisse une marque sur le corps et ça donne un rapport mélancolique à la vie, ou plutôt aux plaisirs de la vie : on est renvoyé à notre infinie petitesse, ça devient presque idiot de dire qu’on doit profiter de nos existences. Moi, je peux dire que j’ai écrit Aimez Gil dans une sorte d’hyperconscience de ma propre fin. Je venais de terminer mes études, j’étais en train de faire des choix, j’avais l’impression que je n’apprendrais plus rien, et j’ai eu peur. Je me sentais un peu plus grande, mature, je ne sais pas, mais un peu plus grande, cela m’a donné davantage de patience à l’égard du texte qui arrive, à l’égard de moi-même aussi, cela m’a permis de trouver une langue plus souple, plus accessible. »
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